Pour valoriser l’usufruit de parts d’une SCI, la CAA de Nantes avait fait une mauvaise application de la méthode des DCF, en validant la méthode de l’administration fiscale consistant en la capitalisation puis l’actualisation non des flux de revenus à attendre du bien sur la période considérée de l’opération, mais des résultats comptables de la SCI.
Le Conseil d’Etat par sa décision du 30 septembre 2019, n°419855 Hôtel Restaurant Luccotel a annulé l’arrêt de la Cour d’Appel de Nantes en considérant que l'évaluation du revenu futur attendu par un usufruitier de parts sociales ne peut avoir pour objet que de déterminer le montant des distributions prévisionnelles qui peut être fonction notamment des annuités prévisionnelles de remboursement d'emprunts ou des éventuelles mises en réserves pour le financement d'investissements futurs, lorsqu'elles sont justifiées par la société. En conséquence, à défaut de termes de comparaisons, la valorisation de l’usufruit temporaire de parts de SCI doit être effectuée par capitalisation puis actualisation des distributions prévisionnelles.
Devant la Cour de renvoi, l’administration a produit un mémoire exposant les deux méthodes de valorisation qu’elle a retenues :
d’une part, la méthode dite des « DCF classique » consistant à limiter les fruits à actualiser aux seuls flux effectivement décaissés en trésorerie par l'entreprise au profit des associés pendant la durée de l'usufruit, soit les flux correspondant notamment aux intérêts et annuités des emprunts en cours ou de ceux finançant des projets, à l'amortissement des investissements, au paiement des impôts et taxes, aux assurances et aux frais de gestion. Elle ne prend en compte pour calculer les flux de trésorerie que doit générer la détention de l'usufruit des titres, que le montant du bénéfice distribuable dans la limite de la trésorerie effectivement disponible.
d’autre part, la méthode dite " Benoudiz ", qui prévoit une pratique de distribution tenant compte, au sein des mêmes flux futurs de trésorerie de l'usufruitier que ceux de la méthode DCF classique, d'une possibilité de distribution d'un dividende supérieur aux disponibilités en banque de l'entreprise avec versement du numéraire plusieurs années après la fin de la durée de l'usufruit.
La méthode Benoudiz exposée par Monsieur Laurent BENOUDIZ notamment dans un article de la Revue Droit Fiscal du 7 février 2019, peut être également définie, en l’absence de limitation statutaire du bénéfice distribuable comme cela semble être le cas dans l’affaire jugée, par l’affectation en dividendes de la totalité du résultat comptable de la SCI, en inscrivant en compte courant au profit de l’usufruitier, la différence entre dividende voté et dividende payé, suivie de l’actualisation progressive du remboursement du compte courant au fur et à mesure de la trésorerie dégagée par la SCI, et ce à l’issue à la fois du remboursement du prêt bancaire immobilier et de l’usufruit temporaire.
La CAA a considéré que la méthode Benoudiz peut entraîner, d'une part, un décalage d'ampleur entre la trésorerie et le bénéfice comptable dans le temps et, d'autre part, un report du versement du solde des distributions en fonction de la trésorerie à une date indéterminée et a considéré que compte tenu de ces incertitudes au-delà de l'expiration de la durée de l'usufruit, que cette méthode utilisée par l'administration devrait être écartée.
En statuant ainsi, la Cour reprend à son compte la position du rapporteur public Madame Émilie Bokdam-Tognetti énoncée dans ses conclusions sur l’arrêt du Conseil d’Etat du 30 septembre 2019, qui a considéré que cette méthode était intellectuellement la plus séduisante, mais parait se heurter à trop de difficultés.
Pour autant, pour lever ces incertitudes et difficultés, il pourrait être considéré que la SCI paie la totalité du compte courant de l’usufruitier à l’expiration du démembrement. En effet, la SCI qui se retrouve libérée de l’emprunt bancaire à l’expiration du démembrement ( en général d’une durée au moins égale à celle de l’emprunt), se trouverait en capacité de financer le paiement en une seule fois du compte courant de l’usufruitier par un nouvel emprunt bancaire. Elle pourrait également procéder à une opération de lease-back ou même céder le bien immobilier. Ainsi, le paiement du compte courant à l’échéance du démembrement pourrait être pris en compte, sans incertitude, dans les flux actualisés.
En considérant que seule la méthode des DCF classique devait être retenue, la Cour admet implicitement que lors de l’affectation du résultat de la SCI, l’usufruitier limite les dividendes auxquels il a droit au montant de la trésorerie dégagée au cours de l’exercice et consent ainsi un avantage au nu-propriétaire, alors même qu’il existe une communauté d’intérêt entre les deux intéressés.
La Cour a également validé le taux d’actualisation des flux financiers de 9,31% correspondant au taux de rendement du bien immobilier de la SCI, plutôt que celui de 5% initialement retenu par le contribuable, ce qui lui est favorable, au cas présent. Ce taux d’actualisation correspond au TRI qu’aurait réalisé l’usufruitier, s’il avait acquis l’usufruit temporaire au prix 145 107 €, en encaissant des dividendes après IS sur toute la durée du démembrement de 20 ans pour un montant d’environ 300 K€.
Il est toutefois à noter que la valorisation de l’usufruit des parts porte sur une SCI d’un faible capital de 1 000 €, dont la valorisation de l’usufruit n’est, par définition, pas incorporée au capital. Lorsque le capital de la SCI correspond aux apports consentis par les associés, il y a lieu de s’interroger, si pour fixer le taux d’actualisation des flux financiers, le Conseil d’Etat ne serait pas amené à retenir le principe énoncé, dans son arrêt du 24 octobre 2018 (n°412322 et 412323) en cas de démembrement portant directement sur un bien immobilier, de réalisation d’un TRI équivalent entre usufruitier et nu-propriétaire.
Enfin, la Cour considère que le contribuable ne peut utilement se prévaloir du paragraphe 190 du BOI-IR-BASE-10-10-30 dès lors qu'il a été publié le 4 août 2015, soit après l'expiration du délai de déclaration de l'impôt sur les sociétés dû au titre de l'exercice clos en 2009. Cette doctrine administrative renvoie aux dispositions de l’article 669 II du CGI, qui fixent les règles de valorisation de l’usufruit temporaire en matière de droits d'enregistrement et de taxe de publicité foncière, estimé à 23 % de la valeur de la pleine propriété pour chaque période de dix ans de la durée de l'usufruit. Mais, dans la mesure où cette doctrine concerne l’article 13 5 du CGI relatif à l’IR, le contribuable n’aurait assurément pu s’en prévaloir en tout état de cause.
Pour plus de précisons sur la valorisation d’un usufruit temporaire, nous vous invitons à consulter notre article « Valorisation de l’usufruit temporaire et détermination de sa valeur économique ».